ON ME DEMANDE SOUVENT quel souvenir culinaire je conserve de mes aventures irlandaises. C'est bien une question de fine bouche française... Je ferme les yeux, j'inspire...  Que revienne ma liberté immense, celle des grands soirs aux pintes fraîches et mousseuses ; celle des longs chemins, où la faim vous précipite dans les auberges au creux des vallons.

 Que reviennent tous ces noms dissous dans ma panse et avalés par ma mémoire ; ceux des mets que j'ai tant aimés, des amitiés qu'ils ont nouées. 

 

  PREMIERE PARTIE : LES BIERES IRLANDAISES

Ah ! La bière irlandaise  ! On a beau dire, cela reste  la première spécialité de l'Irlande. Tant de variétés et de saveurs différentes ! Au cours de mes expéditions aux quatre coins d'Eire, j'ai pu en goûter ( avec modération) de nombreuses. C'était par curiosité plus que par goût pour l'alcool, que je n'aime pas. J'ai donc mené cette découverte sobrement, avec parcimonie.

Les bières irlandaises sont toujours reliées à leur terroir. On parle souvent de la Guinness, qui est vue comme "la" bière nationale  : vous ne trouverez jamais un pub, même au fond de la campagne la plus reculée d'Irlande, où les verres ne s'emplissent de sa robe noire et veloutée. Pour moi elle ne possède pas le bagout de certaines plus "locales".

La bière irlandaise, c'est une affaire de terroir et de caractère. Il faut savoir que la Guinness est quand même une bière qui cahote un brin sur les routes d'Eire avant de finir dans votre estomac. Extraite à Dublin, elle est remontée en camion à Belfast pour y être brassée avant d'être redescendue à Dublin pour le conditionnement et la distribution. De quoi donner des hauts le coeur ! 

 Pour cette chronique ambrée - sans y connaître grand chose - , je vous propose une sélection de mes bières préférées, glanées aux quatre coins de l'Irlande.

1. SPLENDEURS DE KILKENNY : LA SMITHWICKS RED

Les Irlandais se moquaient ; il paraît que c'est la bière des vieillards ! C'est ce qu'on me répétait dans les pubs et un peu partout. Elle est réputée pour sa douceur et son goût sucré. Pourtant, c'était toujours ma préférée. Je n'aime pas les alcools forts, et j'aimais son petit goût spécial. J'ai eu l'occasion d'aller avec mon père à Kilkenny, ville du centre d'Eire, mais je ne crois pas avoir ressenti dans le goût ses origines moniales (elle était brassée dans une abbaye au XVIIIème siècle).

 

2. GALWAY, SES EMBRUNS, SA BRUME : LA GALWAY HOOKER

Si vous aimez les breuvages sucrés, vos papilles se délecteront de la Galway Hooker, qui mise tout sur l'identité de Galway ! Ma préférée est encore la red, puisqu'elle reste étonnement légère, et  sa mousse est onctueuse. Elle est dotée d'un fin goût de caramel qui reste longtemps en bouche. Les Galway hookers sont des voiliers de pêcheurs caractéristiques de cette ville d'atlantique, aux voiles rouges. Si vous êtes chanceux, vous pourrez en apercevoir dans la baie.  

 

3. O MY GOLDEN VALE  : LE CIDRE BULLMERS

      En France, vous le trouverez sous l'appellation "Magners", mais son petit nom irlandais est "Bullmers !" Il ne s'agit pas d'une bière, mais cela vaut quand même le coup d'y tremper ses lèvres. C'est encore un breuvage léger, qui sied aux non-adeptes du binge drinking comme moi. Et contrairement aux cidres irlandais "nationaux" - comme le fameux Orchard Thieves -, le cidre Bullmers a pour moi le goût de mon "chez moi" irlandais : le comté de Tipperary. Les vergers et la distillerie de Bullmers sont disséminés autour de la ville de Clonmel, ville du sud du comté. J'y avais mes amis assistants les plus proches à une heure et demie de route, j'y passais donc souvent pour les rencontrer. Le cidre de Clonmel était notre fierté : nous étions le comté le plus déserté en assistants de toute l'Irlande, sûrement en raison de son caractère très rural et renfermé. Notre isolement a produit de façon singulière en nous une fierté pour le county, et la couleur dorée du Bullmers comptait parmi ses trésors.

Petite anecdote : mon année irlandaise était pleine de tempêtes. En novembre, le pays a été balayé par des vents glaciaux venus de Russie : la tempête Ophelia. Nous étions confinés chez nous par décret national, écoles et magasins fermés !  Le lendemain, l'exploitation Bullmers de Clonmel a posté cette photo de ses vergers, relayée par les médias irlandais et britanniques, sans doute pour sa poéticité ! 

(Image: Photo: Johnathan Ryan Tipperaryphotos.com

4. L'INSOLENTE GAITE : BLONDE LAGER DE DUBLIN

Pour moi, Dublin reste associée à des soirs de fête, où on se retrouvait entre assistants pour aller danser de pub en pub. C'est seulement à Dublin que j'ai pu découvrir la Dublin blonde, une bière pincée, mais très sucrée, qui ne reste pas sur l'estomac. Dans ses bulles, je revois claquer les pas de danse irlandaise et sautiller les notes d'un groupe endiablé ! Pour l'anecdote, je l'ai découverte dans un pub un peu chic, qui était une église réaménagée. On pouvait difficilement faire plus subversif que de se retrouver verre en main dans un confessionnal !

 

5. LE GOUT DE L'AVENTURE : LA MURPHY'S DE CORK

Bien qu'aimant difficilement les bières brunes (je n'apprécie pas leur goût et encore moins les lampées musclées qu'on doit déployer pour dissiper leur lourdeur), la Murphy's faisait exception. Sans doute parce que son amertume au fond du verre se confondait avec celle de quitter Cork, dont elle est originaire, que j'aimais tant. J'y ai passé de nombreux weekends ;  je ne parvenais pas à me défaire de cette ville tapageuse et exaltante. Elle a été le point de départ de nombreuses de mes explorations en randonnées de l'ouest Irlandais ; ses pubs, les veilles d'aventures, sources du courage. J'y associe aussi mes nuits au Oliver Plunkett, haut lieu de la vie musicale de Cork, dont l'excentricité ne m'a jamais lassée. 

Retour à l'accueil